Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
2 Mars 2017
Ça me trottait dans la tête depuis quelque temps, mais c'est clair : les "catégories" sont l'écriture évidente de l'approche que j'ai qualifiée d'entropologie.
J'ai présenté la différence entre concepts "diachronique" et "synchronique", comme le fondement nécessaire à tout discours sur le mouvement ou le temps. Dans "L'Homme Quantique" je me suis attaché à en faire la démonstration dans trois domaines particuliers : la physique, la psychanalyse et enfin les groupes humains. C'était un vaste champ à défricher, aussi n'en ai-je présenté qu'une vue d'ensemble.
Mais en approfondissant mon étude dans le domaine de la physique, pour suivre l'évolution des théories depuis le principe de moindre action de Maupertuis, jusqu'à l'équation d'Heisenberg, j'ai poursuivi ma démarche jusqu'au langage mathématique lui-même. Jusqu'à cette théorie des catégories qui est à même d'en reconstruire toute la structure. Ce ne fut pas simple, et je vous en ai fait témoins, au fil de mes 11 billets précédents. Voie plus ardue qu'une précédente incursion, plus naïve, faite il y a quelque temps déjà.
La difficulté tient à mon éducation. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je suis le produit d'un enseignement des maths basé sur les ensembles. À une époque où Bourbaki régnait en maître.
Or, mon sentiment en approchant les catégories était mêlé: d'une part ceci choquait ma culture ensembliste, quand, dans le même temps, je retrouvais assez vite l'écriture que j'ai dû développer pour repérer les différents niveaux synchroniques du discours et les sauts diachroniques nécessaires pour passer de l'un à l'autre.
Je n'osais le faire pleinement, mais oui, en lisant l'approche de la logique par la théorie des catégories, il n'y a plus à hésiter: un "morphisme" (une carte ou map en anglais) qui relie les objets ou éléments d'un domaine à ceux d'un co-domaine est par essence un saut diachronique entre deux niveaux Imaginaires synchroniques, celui du domaine au niveau Ik et celui du codomaine au niveau Ik+1.
J'en ai déjà parlé, mais je voudrais ici en souligner la radicalité, qui vient d'un lien très profond entre logique et information. Comme toujours, je raisonne à partir du livre "Conceptuel mathematics"
Nous avons déjà discuté (voir #2) du niveau relatif d'un "objet" et des éléments qui le composent. Pour définir ou déterminer une partie d'un objet, il nous faut ici encore définir une carte entre le sous-objet en question (le domaine de l'application) et l'ensemble dont il est une partie (le codomaine de l'application); soit :
Nous voyons que la situation ne diffère guère de celle de notre élément a par rapport à l'objet A. Sauf que dans ce cas, élémentaire au sens propre pourrait-on dire, le saut diachronique est repéré par notre déclaration d'existence (il existe a appartenant à A). Bien entendu, pour "repérer" un concept diachronique, il faut le reporter au niveau synchronique supérieur de la structure, nous en avons amplement parlé dans les billets #3 & #4.
Nota : pour alléger mon discours, je ne répéterai plus systématiquement que pour "représenter" un concept diachronique entre deux niveaux Ik et Ik+1, il faut au minimum porter son discours au niveau Imaginaire Ik+1. Toujours avec le sujet Im en position ex post : Ik+1 < Im.
Maintenant, restons dans la catégorie simple des groupes et posons-nous la question de savoir si un élément fait partie ou non d'une partie déterminée d'un objet X. Fondamentalement il s'agit de "porter un jugement". Et, pour nous, cette notion est évidemment un concept diachronique, puisqu'il s'agit de rapporter un discours à un "méta-discours" qui nous sert de "garant".
Or comment procède le mathématicien ? Tout simplement en définissant un morphisme entre l'objet X ; pris comme domaine (ici en Ik+1) et le groupe binaire = ("Vrai"; "Faux"), pris comme co-domaine (et donc en Ik+2).
Maintenant regardez bien l'évolution du regard du mathématicien entre le discours ensembliste et celui des catégories.
À mon sens, toute la puissance de la théorie se retrouve ici: dans ce recul Imaginaire, qui nous permet de représenter le jugement lui-même comme un "mouvement", en conjoignant un concept synchronique l'objet X (en Ik+1) et un concept diachronique, les morphismes 'true" entre Ik+1 et Ik+2.
Et, comme ne cessent de le répéter les spécialistes de la chose, ce qui importe finalement, ce sont les morphismes, les objets pouvant s'effacer des calculs. C'est donc une théorie profondément apte à représenter le concept de "temps" et de mouvement.
Cerise sur le gâteau : cette façon d'aborder la logique permet d'imaginer une logique spécifique pour chaque type de catégories. Prenez l'exemple de celle des graphes, avec deux types d'objets: des points et des flèches. Il est évident que pour "imaginer" de tels objets, il faut se situer au niveau que nous avons précédemment défini comme Ik+1, où il nous est loisible d'envisager, synchroniquement, un point de départ (en Ik), un point d'arrivée, en Ik+1, ainsi que la flèche menant de l'un à l'autre (entre Ik et Ik+1). D'une certaine façon, en Ik+1, nous "réifions" l'action représentée pa une flèche.
Et donc, l'objet de la Catégorie des graphes est d'un niveau supérieur à celui où l'on peut envisager ceux de la Catégorie des groupes.
Maintenant, si pour représenter un sous-groupe S contenant de tels "objets" (des points ET des flèches) je suis en Ik+1, alors l'objet X dont il fait partie doit être repoussé en Ik+2. C'est dire, en conséquence, que le codomaine, garant de notre jugement logique concernant cette appartenance, est lui-même repoussé en Ik+3.
Une logique plus "riche" puisqu'entre notre "oui ou non" primitif, nous pouvons considérer des cas plus complexes: celui où une flèche ne fait pas partie du sous-ensemble S, alors que l'un ou/et l'autre de ses points extrêmes en font partie. Je vous laisse lire le détail fort bien expliqué dans "conceptuel mathematics". Ce qui nous donne un codomaine "garant" de cette logique ainsi défini:
Or, ces graphes sont du même ordre de complexité que les objets d'un espace de Hilbert (espace vectoriel muni d'un produit scalaire), dont on a besoin pour décrire la mécanique quantique. J'y vais à la louche, mais c'est pour me concentrer sur l'essentiel qui est ceci : notre approche offre le cadre épistémologique idéal pour comprendre une telle écriture mathématique, avec cette coexistence de différentes logiques, chacune adaptée au niveau Imaginaire où elle se déploie.
Et nous retrouvons bien l'idée d'une "dégénérescence" de nos représentations, lorsque l'on descend notre échelle diachronique. Ce qui nous ramène à mes remarques concernant, par exemple, la différence entre masse inerte et masse grave.
La relativité des concepts de la physique se double d'une relativité des outils mathématiques utilisés pour les décrire. Ce qui nous ramène à une espère de congruence entre la complexité de l'objet et celle du sujet qui en prend progressivement conscience, en déployant son Imaginaire.
Le challenge serait de transcrire la forme canonique des mythes de Lévi-Strauss en termes de catégories, bien que l'acte mythique soit par essence rationnellement inconcevable : la création par un sacrifice... Sans transcrire complètement cette forme canonique, nous l'avons déjà utilisée (cf.: #7) au point d'émergence de la théorie des catégories en tant que discours rationnel (lorsque le mathématicien passant d'une position ex ante à ex post définit l'objet comme "causa sui")...
Mais ceci est une autre histoire.
Hari Seldon.
PS: dans le feu de l'action j'ai oublié de parler de l'information; mais c'est évident. Dans la catégorie des groupes, lorsque l'on applique chaque élément de X sur ("Vrai";"Faux"), nous avons au maximum 2n applications des n élément de X sur le codomaine garant de notre jugement vrai/faux. C'est une définition possible de l'information potentielle maximale contenue dans X pour en déterminer les éléments. L'intérêt d'une telle approche, c'est de définir l'information comme un mouvement (rappel: un concept dual synchronique /diachronique), dans lequel X est l'objet synchronique concerné par "l'information" en question. L'information au sens usuel étant ainsi la réification de l'acte de s'informer. Ce qui nous ramène à Deleuze,, et nos discussions sur le virtuel et le potentiel, comme de bien entendu.