Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
11 Septembre 2018
Avant-hier, en me brossant les dents avant le coucher, un sentiment d'évidence m'a traversé l'esprit : quelque chose se dénouait de lui-même. Je me suis dit qu'il fallait m'en souvenir pour l'écrire demain, et puis demain est passé, et j'ai toutes les peines du monde à m'y retâter, comme dirait Montaigne.
Dans l'instant, je repensais à cet enracinement des théorèmes de Noether au plus archaïque de notre Imaginaire auquel j'avais procédé dans mon dernier billet "Métaphysique", avec en sourdine l'urgence d'en finir avec le "topos élémentaire" de Lawvere, avant d'attaquer celui de Grothendieck... Et ce qui surnageait dans tout ce magma, c'était ce que Lawvere introduit comme les "map objects" ou "objets morphismes".
Mais plantons d'abord le décor : un topos élémentaire est une catégorie C possédant les caractéristiques suivantes:
Les deux premiers points nous ont déjà donné matière à réflexion, et somme toute, on peut dire qu'ils sont digérés, intégrés à ma propre approche. Nous reviendrons sur le suivant, qui introduit la notion de quotient... Mais ce qui nous occupe ici, la notion que j'ai en tête, c'est la dernière.
- Mais pourquoi ici et maintenant ?
- Eh bien je crois que cette notion questionne directement les rapports que l'on peut établir entre un niveau de discours Ik et le niveau supérieur Ik+1, souviens-toi que nous sommes toujours dans la situation rationnelle : Ik < Ik+1 < Im, or, nous venons très précisément d'y rapporter le triptyque de Noether : un invariant en Ik (résultant d'une brisure de symétrie), se détache d'un espace permettant d'y repérer des symétries en Ik+1, dans mon rapport à l'objet, avec une incertitude dans le passage Ik / Ik+1. (relecture au 25/10/2019)
- Quel est le rapport ?
- Il est direct, et c'est là que ce situe finalement mon évidence : Y X est précisément le nombre de morphismes qui peuvent lier (j'en reste à la catégorie élémentaire Ens) un ensemble de X éléments comme domaine à un ensemble de Y éléments comme codomaine. Lawvere en parle très vite (page 34 de Conceptual mathematics) alors qu'il introduit les topos vers la page 330. Et ses exemples sont triviaux :
Et donc, nous nous intéressons ici directement à l'ensemble des façons potentielles de caractériser X à partir de Y.
- Soit, mais quel rapport avec ton titre "sémantique et syntaxe" ?
- Je vais prendre mon exemple dans la langue française pour te le faire comprendre. Considère l'ensemble des façons que nous avons de conjurer le verbe "chanter" dans une phrase quelconque. La langue connaît 21 temps (je m'en souviens d'avoir conjugué des centaines de fois "bavarder") et 6 sujets différents. Ce qui nous fait 126 possibilités (un peu moins en fait, mais j'ai la flemme de compter) ou "signifiés" différents. Par exemple "je chante" a un sens, "nous chantions" en a un autre. C'est ici notre champ sémantique. Et je (en Im) vais actualiser l'une de ces 126 possibilités (en Ik) pour m'exprimer (Ik < Im). Fondamentalement, cette "actualisation", c'est un "choix" que j'effectue dans un ensemble défini, donné d'avance, c'est donc quelque chose d'ordre "diachronique". Je ne m'intéresse pas ici aux "objets", d'ordre "synchronique", mais à l'actualisation d'un morphisme entre 126 liens potentiels entre Ik et Im.
Maintenant si je me donne une règle (par exemple en définissant le présent), je vais isoler dans cet ensemble, certains morphismes particuliers. Je fais donc une partition, non pas sur les "objets" d'une catégorie (le point 3/ de la définition d'un topos), mais sur des rapports entre eux, sur les flèches des morphismes.
Lorsque l'enfant apprend, il répète abord ce qu'il entend et regroupe comme il peut les morphismes, les flèches, les "maps", entre eux. Ensuite, les parents ou le maître, vont nommer et ordonner ces regroupements (à partir d'où il construit tant bien que mal Ik+1); définir le présent de l'indicatif par exemple, et repérer les différents groupes de verbes etc.
Mais à l'origine, la syntaxe est primitivement un concept diachronique, qui ensuite, par un recul imaginaire de Im, va devenir synchronique : Ik < Im => Ik < Ik+1 < Im, comme la notion de temps, ou toute autre notion, et c'est là que nous retrouvons ce qui fût dit des théorèmes de Noether.
Et bien, le matheux fait la même chose dans son langage propre.
Si, par exemple X = (1; 3) et Y = (1; 9), et que je regroupe les trois morphismes 1=>1 / 2=> 4 / 3 => 9, je peux caractériser cet ensemble de morphismes par une loi "je fais correspondre à tout élément de X son carré dans Y". Si je nomme P l'ensemble des 93 = 729 morphismes possibles, je peux repérer cette règle comme une partie Pcarré de P.
Le terme "carré" qui nomme la loi décrivant mon action (entre Ik et Ik+1), sert alors d'indice à ma partition de P en la réifiant (en Ik+1).(relecture au 29/06/2020)
- Tout ceci me semble bien élémentaire, quel rapport avec ton intérêt pour les topos de Grothendieck ?
- Bien sûr que c'est élémentaire, comme le topos de Lawvere d'ailleurs, parce que la gymnastique que nous pratiquons à ce niveau est typiquement logique: nous définissons encore les éléments sémantiques comme parties (i.e.: Pcarré) d'un objet syntaxique (i.e.: P), ou comme regroupement de morphismes (les deux visions sont duales). (relecture au 25/10/2019)
Mais le concept garde une signification au-delà de I01, et puisque j'ai repéré un mouvement (une action diachronique) par un indice (synchronique), je peux dès lors jouer avec lui comme avec un objet, amorcer une syntaxe de la syntaxe, et son mode d'utilisation va évoluer en conséquence. Ce n'est plus l'enfant construisant patiemment "l'objet syntaxique" à partir des "objets sémantiques" qu'il recueille au fur et à mesure de ses expériences, mais le Sujet qui joue aux devinettes, à la recherche d'un l'objet caché: "conjugue-moi le verbe chanter à la troisième personne du subjonctif imparfait"? Et pour cerner cette lettre cachée sous ses yeux, il va varier les approches, les points de vue.
Et c'est le sens de mon intuition, que je retrouve finalement en écrivant ce billet : tout doit se jouer dans ce pivotement autour de ce "map object". Tous les autres concepts utilisés pour définir un topos élémentaire (les points 1/, 2/ et 3/) articulent entre eux les objets de la Catégorie C, des concepts synchroniques, mais le dernier concept, articulant encore élément sémantique (synchronique) et syntaxique (diachronique) reste en devenir, en mouvement, et c'est donc par lui qu'il faut caractériser une brisure de symétrie entre logique / topologie. (relecture du 25/10/2019)
J'espère arriver bientôt à la fin du commencement, pour commencer la suite...
Quoi qu'il faille encore parler des "transformations naturelles" et des "pull-back" (ce qui permettrait de revoir mon billet "métonymie et métaphore") et harmoniser tout ceci qui part en vrille ! (Note du 03/03/2022)
Hari
Nota du 15 /09 /2018
Il faudrait bien entendu revoir tout ce que Lawvere développe dans "Conceptual mathematics" pour le remettre en perspective, ma démarche actuelle étant tout sauf mathématique : je cherche à situer les principaux points d'articulation de l'Imaginaire en utilisant le minimum de matériaux.
Je devrais ensuite revenir sur les "détails", qui ne me posent pas de problème particulier. Je pense par exemple à la discussion de Lawver à la section 30 : "Maps objects or function spaces". L'équivalence entre "map object" et produit cartésien ne peut se faire que vu du niveau supérieur, c.-à-d. après réification du concept diachronique, la flèche du morphisme.
Page 323 par exemple, écrire : 1 => YT indique que l'on s'intéresse aux mouvements (entre I1 et I01) tandis qu'en écrivant T => Y, on a en quelque sorte "mis à plat" (i.e.: l'action T x 1 = T est implicite; voir nos premiers billets sur le sujet "une approche entropologique des catégories #4") l'ensemble des morphismes potentiels de T vers Y en I01.
Note 1 du 08/09/2019
Je relis cet article, étonné qu'il ait été lu hier par quelques visiteurs alors que je m'y réfère rarement dans mes derniers articles.
Et comme il n'y a pas de hasard, j'y retrouve un prolongement aux questions qui m'agitent actuellement, en particulier les postures accompagnant les concepts d'addition et de multiplication, ce qui concerne directement le point 1/ de la définition du topos de Lawvere. Voir :
Par ailleurs, la distinction syntaxique/sémantique faite ici implique une position ex post du Sujet, donc un discours de Im logique; mais quid du discours de Im rapportant un point de vue local en I'm ?
Supposons la situation I'm≤Ik<Ik+1<Im.
Le niveau sémantique "global", la compréhension générale de Im est de niveau Ik+1, cependant, du point de vue local le processus est inversé: la sémantique de I'm est de niveau Ik+1, mais sa compréhension "locale" est limité aux concepts de niveaux Ik. C'est toute l'approche dite "topologique" qu'il nous faut considérer sous cet angle. C'est toute la nouveauté apportée par Évariste Galois, que je n'avais pas encore vu à la date de cet article !
L'invariant d'Emmy Noether est en Ik+1, et va avec les symétries de ce niveau. L'invariance est une mesure, imaginable en Ik+1 d'un objet qui échappe en Ik.
D'une façon générale, en physique c'est le "volume" d'un objet dont on ne perçoit que la "surface".
Par exemple en relativité générale: l'invariant est c, la symétrie est celle qui rabat le temps sur l'espace en permettant leur "mesure" commune à l'aide de la norme du quadrivecteur. La mesure de c caractérise le "mouvement", que l'on ne peut percevoir qu'en termes d'espace et de temps...
Ceci n'affecte pas la suite du raisonnement dans l'article tant que nous restons dans une pensée logique, et que nous pouvons nous référer à des "objets" de niveau Ik; le référé ultime de la logique étant le singleton (*).
(et reprise de la note du 08/09/2019)
C'est plus subtil que ça.
Le terme important c'est l'idée de "pivotement", dans le passage de Ik à Ik+1.
voir : "De la propriété universelle en théorie des catégories".
Prenons par exemple la façon qu'à Évariste Galois de s'attaquer au calcul des racines d'un polynôme.
Dans un premier temps, É. Galois voit le polynôme mais ne connait pas la règle en question, dans une position: IR≤Im<IR2, qui lui permet toutefois d'émettre l'hypothèse que ce polynôme a un nombre de racines (x1, x2,...xn) correspondant à son degré n. Autrement dit, il distingue n morphismes parmi l'infinité qu'il peut construire entre un élément de niveau IR et un autre de niveau IR2.
Maintenant, seconde étape, É. Galois remarque qu'il peut développer un raisonnement portant sur les indices des racines: ceux-ci peuvent permuter. L'objet de langage est bien maintenant cet indice.
Mais, et il faut y faire attention: il n'a toujours pas le moyen de calculer les racines du polynôme. Autrement dit il est en position ex ante par rapport au problème. Son évolution est la suivante : IR≤Im<IR2 => I'm≤IR≤Im<IR2 : il abandonne une approche "rationnelle logique" pour développer une approche "rationnelle topologique".
La formidable avancée opérée par É. Galois consiste précisément dans ce pivotement, qui est en rupture totale avec l'approche cartésienne.
En résumé:
L'articulation entre les deux points de vues tourne autour du "map objet" que l'on construit entre les deux niveaux Ik et Ik+1 considérés. D'où l'importance des notions d'injection/ surjection/ bijection, pour savoir "ce qui se perd" en passant du point de vue de I'm à celui de Im.
Le point important tient à ce que le concept de symétrie utilisé par I'm est plus limité que celui accessible à Im. Pour ce qui est des racines d'un polynôme la symétrie sur les indices s'exprime en termes "rationnels" quand la symétrie sur les racines est d'ordre géométrique...
Je pense qu'il me faudrait reprendre mon article Évariste Galois part 4 - symétrie et rotation de ce point de vue car, à l'époque, je n'avais pas encore compris que le changement de posture du Sujet (I'm/Im) conduit à une différence contravariance/ covariance... Voir : "De la propriété universelle en théorie des catégories".
À l'époque, je n'avais pas fini de discriminer complètement la posture "rationnelle logique" et "l'approche topologique", aussi mon vocabulaire est-il encore un peu fluctuant. Il conviendrait de distinguer :
Le subtilité tient à la possibilité que le Sujet puisse changer de position et tourner autour des "parties" de l'objet, quand il ne peut se tenir qu'en position ex post lorsqu'il définit l'objet par ses "éléments".
Ayant ceci en tête, le terme "partie" dans la phrase suivante est discutable :
"... nous définissons encore les éléments sémantiques comme parties (i.e.: Pcarré) d'un objet syntaxique (i.e.: P), ou comme regroupement de morphismes (les deux visions sont duales)."
Soit les éléments sémantiques sont ici des "éléments" et non des "parties" d'un objet syntaxique. J'aurais utilisé à tort le terme "partie" dans le soucis d'éviter une répétition, mais du coup le sens de la phrase en est faussé...
Soit le terme est approprié, et indique un changement de posture du Sujet, lorsqu'il passe d'une "partition" de l'objet syntaxique vu comme un tout, à une définition en extension par ses éléments, ici les morphismes.
Je vois que je revenais déjà sur le problème dans mes précédentes notes, qui sont bien lourdes à relire, signe que j'élaborais ma pensée au fur et à mesure de mon écriture... Tout ceci se décante petit à petit, fort heureusement !
Il faudrait restituer la problématique "sémantique/ syntaxe" dans un cadre plus général :
J'ai l'impression de retrouver ici une archive bien poussiéreuse !
Tout se simplifie grandement en comprenant qu'à la distinction entre niveaux Imaginaires (i.e.: I1; I01; IR; I0 ou dans mon écriture nouvelle : [∃]; [⚤]; [#]; [♲]; [∅]), il faut ajouter une distinction entre modes de pensée (i.e.: ♤ ♡ ♢ ♧).
Nous verrons, bien après avoir écrit ce texte, que le passage du potentiel à l'actuel ne se comprend pas en termes de changement de niveaux, mais de mode de pensée.
On peut établir une métaphore entre :
Avec en mode ♢ une "réification" de la flèche diachronique d'un morphisme en mode ♧.
1/ Ceci conduit à comprendre le passage du "potentiel" à" l'actualisation" d'une possibilité comme le passage du mode ♢ au mode ♧, qui implique un retournement du Sujet comme ceci : (avec 𓁝 pour I'm et 𓁜 pour Im):
[∃]♢ | 𓁝[⚤]♢ | [#]♢ | [♲]♢ | [∅]☯ |
↓ | ||||
☯[∃]♧ | [⚤]𓁜♧ | [#]♧ | [♲]♧ | [∅] |
2/ D'une façon générale, dans un domaine donné, (voir par exemple les articles sur Bourdieu en ce qui concerne "le champ social", ou l'article sur Rizzi en ce qui concerne la linguistique), on procède métaphoriquement comme lorsqu'en maths on "rabat" l'étude d'un catégorie quelconque (comme celle des Graphes) sur la catégorie des Ensembles.
3/ Cette façon de "rabattre" vers les Ensembles conduit à la construction de "transformations naturelles". C'est une propriété universelle, qui s'énonce en mode ♡, que j'ai appelé pour cette raison le "mode syntaxique", où sénoncent les "propriétés universelles".
4/ Considére chaque domaine de pensée (maths/ sociologie/ linguistique etc.) comme inscrit sur les pages d'un livre. La syntaxe ♡ qui est propre à chacune de ces pages définit des transformations naturelles entre niveaux de mode ♢ et niveaux correspondants de mode ♧.
Maintenant voit le mode ♧ comme commun à toutes les pages de ton livre, ce serait le dos du livre. Le passage d'une page à l'aute passe par cette charnière commune : c'est ce qu'Olivia Caramello appelle un "pont" entre théories dans le domaine des mathématiques. Et c'est l'objet du mode ♤.
L'outil ultime de toute rationnalité étant la logique du 1er ordre, avec l'axiome du tiers exclu cher aux Grecs comme à Hilbert.