Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
17 Mars 2018
Je rumine en ce moment le thème de ma prochaine contribution au séminaire d’Anatole Khelif à Paris Diderot. Je suis un peu nerveux car il s’agit de retenir l’attention de véritables mathématiciens, par une approche qui sort de leur domaine.
Une thèse intéressante à leur soumettre serait l’impossible réduction de la physique à son langage mathématique. Il faudrait pour cela montrer la dégénérescence graduelle des concepts définis en mathématiques, lorsque l’on passe à la physique.
Du côté de la physique, j’ai bien la dernière pierre de l’édifice : la dégénérescence du mouvement en un concept dual (synchronique / diachronique) espace / temps.
La nature diachronique du temps en fait, par nature, une quantité discrète ;
Le principe d’inertie de Galilée, permet de dire que chacun des "sauts diachroniques" élémentaires entre concepts d’espace et de vitesse sont de "même durée";
L’existence d’une vitesse limite implique celle d’une distance minimum, la longueur de Planck ;
Par ailleurs, nous avons vu de quelle façon cette différence de nature entre espace et temps, implique le principe d’incertitude.
Or, s’il est une intuition assez constante en géométrie, c’est bien celle du "continu", avec la difficulté de l'approcher par des méthodes discrètes, comme le calcul intégral / différentiel. Grothendieck voyait ses topoï comme le lieu final où l’opposition discret / continu se résout, celui où la logique rejoint la géométrie.
La route serait donc tracée depuis le choc d’un Réel s’imposant par le principe d’inertie ou l’expérience de Morley-Michelson ; jusqu’au concept de topos de Grothendieck, profondément enfoui dans notre Imaginaire. Nous avons exploré les premières étapes du parcours, à savoir les rudiments de la théorie des Catégories, avec en particulier les concepts d’objets initial et final. Nous n’avons pas trop de difficulté à explorer les catégories élémentaires, et en premier, la catégorie des ensembles (Ens). Mais nous sommes toujours à ce niveau dans le domaine de la logique et du discret…
Bien, mais à partir de quel niveau situer l’intuition du continu et de la géométrie ?
C’est là qu’intervient l’argument diagonal de Cantor, qui a une très grande postérité, puisqu’il se retrouve dans le paradoxe de Russel comme dans le théorème d’incomplétude de Gödel.
Le problème peut se résumer à la démonstration que sur l’intervalle (0 ; 1) le nombre des points n’est pas dénombrable. La procédure utilisée par Cantor est la suivante :
Chaque point x de cet intervalle peut être repéré par un nombre dit "Réel";
Je repère chaque mesure de x par un numéro d’ordre, soit n(x)
Nous construisons ainsi un tableau de ce genre :
1 = 0,598707526898094276…
2 = 0,097867675325656257…
3 = 0,669639803278674590…
...
i = 0,696073767623789976…
…
Cantor établit que la liste de toutes ces mesures, même infinie (mais dénombrable puisque les numéros d’ordre sont dans N), ne peut jamais épuiser l’ensemble des points de l’intervalle (0 ; 1).
L’argument extrêmement simple de Cantor (ce qui en fait toute la beauté !) c’est qu’il est toujours possible d’ajouter un nouveau nombre réel à toute liste déjà établie. Il suffit pour cela de construire un nombre dont la ième décimale diffère de la ième décimale du ième élément de la liste établie. Par exemple dans la liste précédente, on peut construire le chiffre x = 0,488………….. qui diffère déjà des trois premiers de notre collection.
Maintenant, en quoi consiste cette construction d’une collection dénombrable de mesures x ?
Elle nous est présentée comme "mathématique", c’est-à-dire de pur langage, Imaginaire pour tout dire, mais il s'agit, quoi qu’on en dise, d’idéalier un "mouvement physique" : celui de rapporter un élément x à un ensemble d'éléments de son espèce (l’ensemble de nombres Réels R en l’occurrence). Le numéro d’ordre quant à lui, renvoie au "mouvement diachronique" qui porte de x à R. Nous sommes toujours dans la métaphore de ce bloc-notes qui nous a servis à décrire le mouvement. Nos points sur les feuilles du bloc étant cette fois-ci chacun des éléments x.
La différence entre un mouvement purement physique (comme le repérage d’un point sur une feuille) et le repérage d’un élément x de R, c’est que R est imaginé avant que l’on en distingue les éléments, quand le point se donne à voir avant même que nous songions à le nommer. De fait, parler d’un "point rationnel" hors de tout contexte, sans préciser son appartenance à un ensemble d’éléments de même espèce n’aurait aucun sens.
Il y a sans doute là quelque chose à creuser.
D’un côté, nos premières investigations dans la théorie des Catégories, tournant autour de Ens, nous conduisent à un échafaudage reposant tout entier sur deux piliers, (0 ; 1), que nous avons rattachés sans trop de difficultés par nos propres développements à la différence purement linguistique synchronie / diachronie etc. Le point d’aboutissement est sans doute la notion de "topos élémentaire" tel que défini par Lawvere, du domaine de la pure logique.
Le point fondamental, cela qui détermine absolument le concept, c'est la possibilité de caractériser les "parties" d'un objet quelconque grâce à des "classifieur de sous-objets" (je me réfère ici au livre "sheaves in geometry & logic" de Mac Lane et Moerdijk). L'importance du sujet mérite que l'on s'y attarde un instant.
Pour discriminer une partie d'un ensemble, il suffit d'analyser chaque élément de ce dernier et de dire si oui ou non, il fait partie de la partie sous observation. Or, si nous en étions restés à l'idée très fondamentale d'une différence "diachronique" entre objet initial et final, il faut ici ramener les deux à un même niveau synchronique afin d'y rapporter un jugement: nous retrouvons ici, la plus pure expression mathématique de ce que nous avons appelé une "pensée rationnelle"; à savoir que le Sujet, en position ex post rapporte un élément de discours à un niveau Ik quelconque, à un métadiscours de niveau Ik+1. Autrement dit, nous nous enfonçons dans notre propre imaginaire :
1/ À un niveau absolument élémentaire Ia de notre discours (nous-mêmes étant situés en DM) nous disons : "l'objet initial borde l'Imaginaire, à un niveau I0 au plus près du Sujet / l'objet final en I1 est au plus près du Réel". Autrement dit, nous amorçons notre discours par le constat d'un gap diachronique pour former l'Imaginaire de notre Sujet (qui se représente lui-même en Im)
Notre discours a donc cette structure : R < I1 < I0 < Im (< S ) < Ia < DM, où la place du Symbolique S du Sujet est indiquée pour mémoire;
2/ Pour distinguer les parties d'un objet, c'est à dire, pour amorcer tous les développement de la logique qui en découlent, il nous faut réifier cette distance diachronique en créant l'objet élémentaire composé de deux éléments (0;1). Nous en sommes à la page 32 du livre de Mc Lane :
Je tenais à reproduire ici ce schéma pour le remettre dans notre perspective. Il conviendrait de le représenter à l'envers: X, l'objet, au-dessus de la partie S (S pour section), comme "2" (composé de (0;1)), est nécessairement au-dessus de l'objet final. La relation "true" est exactement le gap diachronique qui sépare les deux niveaux de langage nécessaires à l'expression d'un discours rationnel. En fait, je ne pouvais pas trouver mieux à l'appui de mon approche !
Que nous enseigne alors ce schéma ?
Qu'à l'aide d'un "rapprochement synchronique" au niveau Imaginaire Ik à savoir S --> 1, et d'un concept diachronique tel que "true" entre Ik et Ik+1; je peux constituer S comme partie de X ( soit m : S --> X). Nous avons donc caractérisé la passage de S à X comme un "mouvement", exprimable en Ik+1 par phi(S). Un tel schéma quadrilatère se retrouvera ensuite dans les "transformations naturelles".
C'est le schéma de base, à partir duquel tout le reste peut se reconstruire, par la répétition du même:
Dans le domaine de la physique, nous avions identifié le temps comme un pur concept diachronique entre espace et vitesse. Ici, nous avons une répétition qui porte de (Sn; Xn) à (Sn-1; Xn-1)..... (1; 2). La transformation ne porte plus sur un simple objet, comme un point sur une feuille de papier, mais sur des "idées rationnelles" : en passant d'une transformation à l'autre, nous constatons leur similitude. De fait, nous faisons une suite de métonymies en passant d'un objet à son nom, puis du nom à son étiquette dans une série etc. Ce qui respecte assez bien l'idée que l'on pouvait en avoir a priori (voir ici métaphore et métonymie, écrit il y a maintenant quelques années !).
On peut repérer l'aspect primitivement diachronique du processus (car avant tout, le passage de S à 1 et celui de X à 2 sont des morphismes) au fait que, même si une telle série est potentiellement infinie, elle reste malgré tout dénombrable... Ce qui nous permet de comprendre assez intuitivement pourquoi le procédé permet, en réifiant le concept le successeur (de diachronique il devient synchronique), de construire l'ensemble des entiers naturels N.
Nous pouvons résumer tout ceci en disant qu'à un certain niveau de langage Ib de DM (nous-mêmes), nous nous élevons au-dessus de Ia en introduisant I01 entre I0 et I1. L'évolution entre Ia et Ib est donc la suivante:
R < I1 < I0 < Im (< S ) < Ia < DM => R < I1 < I01 < I0 < Im (< S ) < Ia < Ib < DM
En nous élevant ainsi vers notre propre niveau Symbolique, et en précisant de ce fait ce qu'est un discours rationnel pour tout Sujet, nous nous rapprochons du Réel, en confinant notre discours "logique" entre ( I01 et I0 ), et d'une façon générale de notre "pensée procédurale", gardant la trace d'une certaine représentation diachronique du temps.
De façon imagée, on pourrait dire que nous sommes dans la partie gauche du cerveau (voir "nos deux cerveaux").
Mais quid de la partie droite ? Nous en revenons à notre géométrie.
Instinctivement, je serais tenté de dire que si la logique concerne l'espace entre I1 et I01, il faudra sans doute nous intéresser maintenant à la partie complémentaire, entre I01 et I0.
Mais je sens que, comme moi, vous commencez à fatiguer... Alors je vous laisse méditer sur ce qui précède, en attendant la suite ;-)
Hari
Note du 08/08/2018 :
Je note ici cet article "Kant vs Cantor" afin de ne pas l'oublier et y revenir à l'occasion. J'ai en tête un article concernant l'hypothèse de l'infini; il me faut juste le temps de l'écrire !