Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
18 Mars 2019
- Pourquoi revenir maintenant à Foucault (voir ici), alors qu'il y a tellement à faire pour élaguer le passage que tu viens de te frayer en physique (voir "Le principe de simplicité")?
- Parce que l'épistémologie génétique de Piaget, fondée sur l'évolution de l'enfant, me fait penser à Foucault qui, de son côté, traite de l'évolution de la pensée occidentale. Je me dis qu'il doit y avoir des correspondances entre le développement de l'individu et celui de la société.
Le point fondamental que nous avons tiré de notre escapade chez Piaget, c'est que l'enfant se développe en se focalisant alternativement sur l'objet initial { } et final {*} (note 1), qui m'amène après quelques méditations à ce principe de "simplicité", la racine la plus profonde de notre système de représentation, fondement même du triptyque d'Emmy Noether (i.e.: quantité conservée/ symétrie/ indétermination), qui s'impose de plus en plus dans mon approche (voir "de Descartes à Emmy Noether").
- Merci pour les rappels, mais tout ceci ne nous rapproche pas de Foucault.
- Disons que cela définit notre position de lecteur. Par exemple, lorsque Foucault parle de "similitudes", je ne peux m'empêcher de penser "symétries". Ce qui me renvoie à "simplicité". En effet quel est le premier acte de simplification des représentations, sinon faire des paquets d'objets en les classant selon leurs similitudes ? Et l'instrument le plus simple pour effectuer un classement primitif n'est-il pas de classer les objets par paires de contraires ? De ce point de vue, la dichotomie n'est-elle pas la plus simple des symétries ?
- Va pour la symétrie. Cependant, selon ton principe de "simplicité", cette dichotomie serait une règle immanente, une pulsion animale, sinon un élan vital, pourtant Lévi-Strauss y voit plutôt une donnée culturelle, qui s'impose de façon transcendante, d'où la création de mythes afin de résoudre les contradictions dans le système de représentations d'une communauté (voir ou revoir : "le mythe de la potière jalouse").
- Tu as là le pendant de ce que nous avons vu dans la genèse de l'enfant, qui se développe en référence à l'objet final (en position ex post: il fait des expériences et en tire des conclusions), mais lorsqu'il échoue, demande alors à maman pourquoi la pluie tombe du ciel, et reste en position ex ante face à un référé "omnipotent", l'objet initial.
Le principe dichotomique est tiré de l'expérience du Sujet : le blanc s'oppose au noir, le lourd au léger, etc., et c'est intériorisé culturellement pour formater si je puis dire, le Sujet. En ce sens l'éducation renforce une prédisposition innée, découlant d'un besoin universel (individuel et social) de simplification.
- Et Foucault dans tout ça ?
- Les quatre similitudes dont il nous parle sont bien évidemment des symétries! En ce sens, la dichotomie précédente, qui est une dissemblance absolue, et ces similitudes qui à l'inverse sont les figures du même, ressortent toutes d'une propension universelle à repérer les choses comme leurs arrangements, par un système de symétries (note 3), découlant de notre aspiration à simplifier nos représentations. Je te propose de reprendre notre lecture "des Mots et des choses" à ce point où nous en étions restés.
"Appelons herméneutique l'ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens; appelons sémiologie l'ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de définir où sont les signes, de définir ce qui les institue comme signes, de connaître leurs liens et les lois de leur enchaînement." p. 72
Si nous avons ici deux couches Imaginaires, je poserais a priori l'étagement suivant : R< Isémiotique < Iherméneutique <Im < S; ou, en limitant mon discours à sa partie Imaginaire (voir note 2):
I1< Isémiotique < Iherméneutique <Im ≤ I0
Avec tout ce que cette mise en forme permet de commentaires sur la subordination de la sémiotique à l'herméneutique, et de la subordination de cette dernière au choix d'un Sujet, culturellement déterminé...
"Le XVIe siècle a superposé sémiologie et herméneutique dans la forme de la similitude" p.72
- Ton château de cartes tombe à plat !
- Pas tout à fait, car Foucault poursuit :
"... La "nature" est prise dans la mince épaisseur qui tient, l'une au-dessus de l'autre sémiotique et herméneutique; elle n'est mystérieuse et voilée, elle ne s'offre à la connaissance, qu'elle déroute parfois, que dans la mesure où cette superposition ne va pas sans un léger décalage des ressemblances. Du coup la grille n'est pas claire; la transparence se trouve brouillée dès la première donne. Un espace sombre paraît qu'il va falloir progressivement éclairer. C'est là qu'est la "nature" et c'est cela qu'il faut s'employer à connaître. Tout serait immédiat et évident si l'herméneutique de la ressemblance et la sémiotique des signatures coïncidaient sans la moindre oscillation. Mais parce qu'il y a un "cran" ente les similitudes qui forment graphisme et celles qui forment discours, le savoir et son labeur infini renvoient à l'espace qui leur est propre : ils auront à sillonner cette distance en allant, par un zigzag indéfini, du semblable à ce qui lui est semblable." p. 72
Il me semble que tout ceci renvoie à des réflexions que nous avons déjà faites dans le domaine des mathématiques, comme des sciences.
- Peux-tu préciser ces évidences ?
- Nous avons parlé de la torsion entre les similitudes entre objets et signatures (voir "Retour à Michel Foucault"), et ceci rappelle ce que nous avons déjà vu au sujet de "l'identité" et de la "torsion" lorsqu'en logique nous passons de l'objet final (1) en I1 à l'objet classifiant {0;1} en I01 :
Le négation, vue comme une torsion, mène ensuite à l'idée de rotation et de "symétrie" au sens topologique du terme. En ce sens, et pour reformuler ce que nous venons de voir plus haut :
Ensuite, nous avons le va et vient entre les deux niveaux Isémiotique / Iherméneutique qui est au sens strict un mouvement diachronique, avec un automatisme de répétition cher à Freud.
Par ailleurs, ces allers-retours sont le principe créateur des "objets" de la sémiotique d'une part et de l'herméneutique d'autre part ("le savoir et son labeur infini renvoient à l'espace qui leur est propre"); et là nous retrouvons notre principe de "conservation".
- Soit, tu as les deux premiers pieds de ton tripode, et l'incertitude dans tout ceci ?
- Ce qui échappe, l'indétermination en acte, c'est ce que Foucault pointe ici comme "la nature", c'est à dire le zigzag d'un niveau à l'autre, autrement dit le mouvement diachronique en lui-même !
- Es-tu en train de nous dire que les principes de Noether étaient déjà dans la pensée du XVIe siècle ?
- Non pas comme objets de réflexion, mais comme nécessité première due à l'organisation de notre Imaginaire en states, et poussés par notre besoin de simplicité dans nos représentations. Ce n'est plus l'archéologie du savoir mais de la possibilité même du savoir.
Nous avons fait l'exercice ici sur la genèse de la pensée occidentale, mais je prends le pari qu'un Chinois pourrait faire de même en partant d'une langue qui se structure à partir d'une opposition (Ying/ Yang) et de cinq éléments (feu, bois, eau, métal, terre), pour écrire le Yi King; ou livre des "mutations" (voir "tirage du Yi King") !
Il ne nous reste plus, après avoir raccroché nos wagons de la sorte, qu'à suivre, à partir de cette base, la genèse le l'approche typiquement occidentale de la nature que nous conte Foucault.
La suite au prochain numéro.
Hari
Note du 19/ 03/ 2019
Je termine ma recension du chapitre "la prose du monde" en enchaînant par sa troisième partie "les limites du monde".
On retrouve dans ces réflexions de Foucault des points qui seront abordés bien plus tard de façon très formelle.
- Par exemple ?
- Eh bien le besoin d'une finitude de la représentation renvoie à la différence deleuzienne entre virtuel et potentiel. Or le savoir étant considéré comme pur langage réglé par des lois de similitudes, la nature sera "comprise" au terme d'un processus, indéfini certes, mais "imaginable", et donc de facto, limité à ses potentialités. Tout ceci nous ramène à notre discussion concernant l'axiome de l'infini (voir le point 7 "des ensembles et des groupes").
Il y a encore cette nécessité structurelle de considérer sur un pied d'égalité l'érudition et la magie:
"... C'est cette rigueur qui impose le rapport à la magie et à l'érudition - non pas contenus acceptés mais formes requises". p76
De notre point de vue c'est une simple lapalissade, car en écrivant :
I1< Isémiotique < Iherméneutique <Im ≤ I0 < S
et les deux sont intimement liés.
Autre remarque : lorsque Foucault nous dit que le savoir est une accumulation et qu'il procède par addition, on ne peut qu'y voir une approche essentiellement "topologique" du monde. D'ailleurs, le privilège de l'écriture sur la parole vient à l'appui de cette thèse : l'écriture se déploie dans l'espace (d'ordre topologique) quand la parole s'inscrit dans le temps (d'ordre logique).
"L'ésotérisme au XVIe siècle est un phénomène d'écriture, non de parole. En tout cas celle-ci est dépouillée de ses pouvoirs; elle n'est, disent Vigenère et Duret, que la part femelle du langage, comme son intellect passif; l'Écriture, elle s'est l'intellect agent, le principe "mâle" du langage. elle détient seule la vérité;" p. 85
Ceci nous mène au point le plus important (qui nous permettra sans doute de mieux évaluer la révolution Cartésienne), qui est la discussion microcosme/ macrocosme : le Sujet lui-même se constitue comme un objet topologique, c'est à dire filtré par des cribles lui permettant de se situer comme essentiellement absent du discours. De fait, et Foucault le dira ultérieurement : cette époque n'a pas encore défini l'individu en tant que tel, tout au plus est-il "à l'image de Dieu".
Nous sommes typiquement dans ce que Piaget à repéré chez l'enfant comme les niveaux sensori-moteurs (voir "l'épistémologie génétique").
- Attends un peu ! L'humanité n'a pas attendu le XVIe siècle pour se développer.
- Nous partons d'une Renaissance Européenne qui aboutit au XVIe siècle; ce n'est sans doute pas le premier cycle de développement, ni le seul géographiquement, mais nous parlons ici du développement de l'esprit Européen, à partir de l'instant où des peintres Italiens ont commencé à rapporter ce qu'ils représentaient à leur point de vue, avec peut-être Leon Batista Alberti (1404-1472):
«... qu’un peintre soit instruit, autant que possible dans tous les arts libéraux, mais (…) surtout qu’il possède bien la géométrie ».
Où tu retrouves la prépondérance de ce que j'appelle "approche topologique" à l'origine de la première phase de cette genèse; questionnement qui aboutira au tableau de Velazquez commenté par Foucault en introduction...
Avec l'idée que le Symbolique se développe en quelque sorte pour meubler un vide existentiel proprement incompréhensible : Im ≤ I0 < S. Je laisse ici de côté toute la genèse lacanienne de ce niveau "Symbolique" (i.e.: S = (Sujet∪Autre)), voir tout ceci dans "le schéma en L de Lacan"), ainsi que les différentes occasions que nous avons eu d'y revenir sur ce blog.
Par curiosité, j'ai recherché l'étymologie du mot "herméneutique" et voici ce qu'en dit Wikipedia (oui, mes recherches sont courtes, je ne prépare pas une thèse) :
L'herméneutique (du grec hermeneutikè, ἑρμηνευτική [τέχνη], art d'interpréter, hermeneuein signifie d'abord « parler », « s'exprimer »1 et du nom du dieu grec Hermès, messager des dieux et interprète de leurs ordres) est la théorie de la lecture, de l'explication et de l'interprétation des textes.
Où l'on voit très bien Hermès recevant la parole de Jupiter, qu'il doit interpréter, et c'est exactement l'attitude ex ante de l'enfant recevant la parole du Père, l'Autre "supposé savoir", qu'il restitue comme il peut en position ex post, et ceci recoupe parfaitement ce que nous en disons ici.
Ce qui vient à l'esprit, c'est Derrida : le concept de "symétrie" est l'archi-concept dont les deux pôles seraient :
Or, Nous rappelons (voir dans le texte) que l'identité et la négation sont Imaginables en I01, avec l'objet classifiant {0;1}; et nous savons que le concept "plein" de symétrie ne peut se concevoir qu'en IR (voir tous nos développements autour d'Évariste Galois), après avoir accepté (ou pris conscience) des axiomes du continu et de la séparabilité.
En ce sens, voir le concept de "symétrie" comme archi-concept transcendant la dichotomie et les figures du même recoupe ce que nous avons constaté en mathématiques.
Quand je vous dis que les maths sont le langage naturel de la philo...
Je relis cet article aujourd'hui étonné qu'il ait été lu dernièrement par certains.
Je pense que ce qui est vu ici comme distance entre herméneutique et sémiologie pourrait être vu comme simple changement de point de vu (ex post/ ex ante) à caractériser en termes de symétrie. C'est lié à l'inversion de l'image par rapport au Sujet lorsque ce dernier est au stade du miroir. Le glissement entre les 4 similitudes serait alors un simple effet de cette symétrie.
La suite de ma lecture me fait penser qu'il faudrait également revenir à cette notion de "torsion" entre I1 et I01: on pourrait le voir comme une dégénérescence de cette rotation du Sujet lorsqu'il passe d'un point de vue local à global à partir de I01 : l'enfant apprend à manipuler ses représentations (et ses parents) avent le stade du miroir.
Voir :