Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
23 Août 2018
Nous accouchons aux forceps d'une représentation encore très schématique (d'un point de vue mathématique), de quelques-uns des "niveaux synchroniques" de notre Imaginaire. Nous en sommes à la troisième étape de cette genèse:
Voilà l'objet que je vous propose d'examiner à présent. Certes, il n'est pas complet, mais au moins a-t-il le grand intérêt de nous offrir pour la première fois une structure élémentaire à trois niveaux I1, I01 et IR, c'est-à-dire sans niveau intermédiaire entre eux.
Pour le saut I01/ IR, c'est le travail de Cantor, pour le saut I1/ I01 c'est l'hypothèse que je compte explorer en détail, dans la théorie élémentaire des Catégories (à partir de Ens par exemple, ça devrait suffire puisque tout y ramène).
Le problème, comme toujours, c'est que pour justifier cette construction, j'utilise des "principes" ou des outils dont je n'ai pas justifié l'émergence au cours de ce processus.
Car enfin, si je dis que l'Imaginaire entier se développe entre I0 et I1, c'est une construction que j'ai repérée a posteriori, comme une trace archéologique, dans la théorie des catégories, mais pour construire ladite théorie, il a bien fallu que des cerveaux se développent d'eux-mêmes selon ce schéma. Autrement dit cette représentation doit se référer à quelque chose d'observable dans les tous premiers développements de l'enfant, au moment où il se sépare du sein maternel.
C'est dire que le langage mathématique, ou physique, doit, à ce niveau primitif, rencontrer une description psychologique du développement humain.
Prenons par exemple l'automatisme de répétition.
Freud le repère en particulier en observant son petit-neveu Ernst jouer au "fort / da". L'enfant répète le geste de lancer une bobine au bout d'un fil, qui disparaît à sa vue, puis tire sur le fil pour qu'elle réapparaisse. J'y ai vu, il a déjà pas mal de temps, l'expression du principe d'inertie (cf. L'homme Quantique). Eh bien, on le retrouve très directement dans le saut synchronique élémentaire entre I1 (la bobine) et le jugement rapporté à fort/ da en I01. L'automatisme de répétition se traduisant par ce "etc." de la répétition, dont nous venons de parler dans le billet précédent.
Cet automatisme de répétition se construisant très primitivement comme un concept diachronique entre I1 et I01, on peut en déduire qu'il va se répéter lui-même; à partir de I01 de niveau en niveau ! Vous voyez que cette seconde répétition, n'est pas d'ordre mathématique (i.e.: la première menant à la théorie de l'information et tout ce qui touche à la logique), mais concerne notre Imaginaire, en faisant l'hypothèse d'un unique "principe d'économie" à l'oeuvre dans sa genèse, comme dans son fonctionnement.
Et c'est là que notre modèle I1 / I01 / IR nous aide à comprendre la différence entre la structure Imaginaire elle-même et l'objet qu'elle manipule.
Donc, non seulement les objets ou concepts synchroniques diffèrent d'un niveau à l'autre (nous parlions du "+ diachronique" voir ici), mais de plus les concepts diachroniques changent d'un saut au suivant.
Cependant, et c'est là l'important, l'automatisme de répétition lui-même, plus primitif que tout langage, se repère inchangé :
La seconde répétition porte sur la structure même du saut Ik => Ik+1, qui conduit à une structure pseudo-fractale de l'Imaginaire :
De ne pas avoir fait le distinguo entre ces deux répétitions, pour ainsi dire "orthogonales", dans mon billet "nombres cardinaux et ordinaux" m'a conduit à l'erreur dont j'ai discuté dans le suivant 'etc."...
Pour en revenir à notre genèse, cet automatisme de répétition, Freud l'observe sur un enfant d'environ 3 ans, alors qu'il en est au stade de la conception des "objets", et de leur permanence. Cette l'étape 2 de notre développement, amenant à la prise de conscience progressive de I01.
Mais que pouvons-nous dire de l'étape précédente, quels concepts utilisons-nous pratiquement inconsciemment tant ils sont ancrés en nous, apparaissant lorsque la bouche se détache du sein ?
Nous avons vu dans ce détachement d'avec la mère, la première fracture I0/ I1, entre le Sujet et l'Objet, soit, nous n'y reviendrons pas ici, mais qu'est-ce qui caractérise cette fracture entre les deux lèvres de la cicatrice ?
Eh bien c'est là qu'à mon sens il faut enraciner les théorèmes de Noether.
Nous en avons déjà parlé, et j'ai tenté d'en faire un principe épistémologique, une sortie vers le haut à l'aide de la forme canonique de Lévi-Strauss, mais la démarche ultime, serait d'en trouver la trace dans le lait maternel.
Pour mémoire, il s'agit de lier les concepts de symétrie / incertitude / invariant.
Revenons donc au nourrisson qui hurle de faim parce que détaché du sein maternel. L'invariant, c'est lui, sans conteste: il est là, entièrement dévoré par sa faim.
Je ne vois pas de difficulté à y voir le germe de ce "Moi", qui existe d'être arraché à sa mère. Vous pouvez vous refaire tout le film sans difficulté, pour y voir la prise de conscience d'un Sujet en cours de constitution, habité par une faim l'opposant à "tout le reste". Et tel Cronos coupant la verge de d'Ouranos l'unissant à Gaïa, le Sujet investi son espace Imaginaire entre I1 et I0 bordant cette coupure. Vous remarquerez que l'axiome de choix, l'intentionnalité, la volonté caractérisent ce stade existentiel.
Pour la symétrie, il faut faire un effort d'imagination.
Nous n'avons qu'une pulsion portant le la bouche au sein, entre I0 et I1, et le "Moi" du Sujet est encore vide de représentation, d'ailleurs, nous avons vu l'essentielle vacuité du Moi en considérant, bien plus tard, que le plus haut niveau que puisse atteindre Im, c'est I0 (voir l'élégance du vide). C'est pourquoi je pense que l'on peut avancer que cet objet vide, qui est notre invariant, possède toutes les symétries que l'on veut. De fait, le bébé qui a faim est complètement insensible à tout, hormis à la présence ou non du sein contre sa bouche. Qu'il soit en mouvement ou non, les pieds en l'air ou en chute libre, seul la tension immédiate I0/ I1 existe.
Quant à l'incertitude, si elle prend forme, comme nous venons de le voir à partir du stade 2, elle est éminemment présente dès le premier stade, puisque la connexion de la bouche au sein n'est pas continue : le sein peut, ou non, répondre à l'envie du bébé.
On peut même avancer que cette incertitude est ce qui force le bébé à prendre conscience de son existence (de son invariance).
Remettons tout ceci en ordre, si vous le voulez bien.
Comment évolue notre triptyque à ce stade ?
Je pense qu'elle tient à la représentation au même niveau le 0 et le 1: l'absence acquiert le même statut Imaginaire que la présence de l'objet. C'est ce qu'avait remarqué Freud chez Ernst. Le jeu du fort/ da, en lui permettant de comprendre la permanence d'une bobine, lui permettait également de comprendre que sa mère absente allait revenir. Au point qu'il l'attende encore après sa mort...
Il y a rupture de symétrie lors d'une régression de la phase 2 à la phase 1, faisant voler en éclats cette réification du vide en I01: si le sein n'est pas là le bébé n'est qu'un hurlement !
Nous en venons maintenant au plat de résistance :
3. Insertion de IR.
J'avoue que cette étape est encore récente pour moi, et que j'ai du mal à en faire le tour, c'est pour cela que je tente ici de l'approcher sous l'angle de Noether.
Il y a l'incommensurabilité entre N et R, il y a aussi la possibilité de la géométrie, à partir de l'hypothèse du continu, que Cantor lie à R.
Mais la caractérisation la plus significative me semble être une évolution de la notion de temps. Je m'explique : en I01, nous avons réifié le décompte des sauts I1 => I01, ce qui conduit à la construction de N, dans lequel chaque élément a un successeur (à partir 0), mais ce qui manque, c'est la notion de "durée". Dans mon "horloge N", rien ne m'indique qu'il y a la même "distance" entre 2 et 3 qu'entre 45 et 46 par exemple, ce n'est pas une notion "logique", mais "géométrique". Pour ce faire, il me manque un principe d'inertie, énoncé par Galilée, liant temps et espace dans le concept de "vitesse".
Est-ce que ce principe d'inertie peut caractériser IR ?
Je vous propose le montage suivant: prenons un pendule, un simple peson au bout d 'une ficelle, avec un marqueur au bout du peson, laissant une trace sur une feuille de papier à chaque passage bas du pendule. Maintenant faisons défiler la feuille de papier. Chaque passage du peson laisse une trace. L'objet "peson" est à un niveau Imaginaire I1, les cadre, ou "éther" dans lequel il sa déplace est en I01 (voir le principe d'incertitude), et l'ensemble N se constitue au fur et à mesure que le peson laisse des traces sur le papier... Bien, maintenant voici ce qu'énonce Galilée : "un corps garde une vitesse constante dans un repère Galiléen, s'il n'est soumis à aucune influence extérieure". Le corps en question va être ma feuille de papier précédente, qui va défiler à vitesse constante sous mon pendule. Les traces précédentes vont être espacées sur la feuille, et Galilée me dit que la distance entre deux traces va être la même entre la 2ème et la 3ème, qu'entre la 45ème et la 46ème. Si la vitesse est constante et les distances parcourues sont égales, alors le temps mis pour passer d'une trace à l'autre est constant.
Mais qu'ai-je fait dans l'opération? Je suis passé de I01 à IR !
Je délaisse la notion de successeur, pour prendre une règle et mesurer une longueur, qui reste inchangée par translation. En dotant le temps d'une "mesure", après l'avoir rendu "synchronique" en I01, j'achève de le "spatialiser" en IR.
En conclusion :
On peut discuter du lien symétrie / invariant / incertitude dans les premiers développements de l'Imaginaire, et voir même une sorte d'émergence progressive de chacun des trois concepts :
La phase 3 est plus complexe: elle passe par le stade du miroir (vers 18 mois - 2 ans) pour s'achever par l'apprentissage de l'invariance, non plus des "objets", mais des "quantités" qui les mesurent, comme le volume entre 4 et 6 ans.
Dès la constitution de IR, la liaison est évidente, par ailleurs, tous les outils mathématiques nécessaires à l'expression de ce lien sont à disposition à partir de IR.
Ce qui suggère que les étages supérieurs de l'Imaginaire doivent à leur tour explorer les différents types de symétries que l'on retrouve par exemple dans la théorie des jauges...
Comme vous le voyez, je n'ai pas fini mon exploration de l'Imaginaire !
Bonne méditation à vous
Hari
Nota du 26 août 2018:
À partir du stade du miroir, l'enfant comprend progressivement qu'il peut être un objet au regard de l'autre, voire de lui-même, et qu'il peut donc se représenter dans l'espace. Ce qui initie deux types de questions :
Explicitons ceci avec nos notions : Im se fait une représentation de lui-même, appelons-là Im'.
Le stade du miroir indique un recul de Im par rapport à sa propre Image : Im' < Im
Il y a un embarras dans le discours lorsque Im, oubliant qu'il est le porteur final de son propre discours, néglige la distance Im' < Im qu'il prend pour s'objectiver en s'imaginant par exemple chevaucher un électron, ou surfer sur un plan tangent à une courbe.
J'avoue que c'est ce qui m'a pris le plus de temps à conceptualiser pour comprendre la nature même du double point de vue global / local en géométrie, et la différence essentielle qu'il y a entre un raisonnement "logique" par rapport à un raisonnement "géométrique".
Mais il ne s'agit en aucune façon de la position Im < S, caractérisant la pensée mythique de Im en position ex ante par rapport à son système symbolique ! Il ne s'agit ici que d'une représentation que le Sujet se fait, consciemment, de lui-même : Im', le discours étant toujours rationnel, avec Im en position ex post : Ik ≤ Im' < Ik+1 < Im.
Ce qui me manquait pour arriver à cette évidence, s'était de comprendre qu'il n'y a pas de niveau intermédiaire entre I1 et I01 ! idée induite par symétrie de l'irréductibilité de la distance I01/ IR.
Merci Cantor !