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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Au cœur de la physique

- Sincèrement, encore dans ton dernier billet, tu nous psalmodie ton Grothendieck comme un mantra sans rien comprendre à ce qu'il écrit ! Tu tournes autour de la géométrie, sans rentrer dans le sujet, qu'est-ce qui t'arrive, une crise de flemme ou la peur d'échouer ?

- La flemme sûrement : je voudrais cerner le problème au point qu'il tombe comme un fruit mûr. Mon idée n'est certainement pas de fournir des efforts démentiels pour suivre une idée complexe, mais au contraire, par pure fainéantise, de chercher le moyen le plus banal, évident, d'en retrouver l'essence, avec le minimum d'efforts intellectuels. C'est ça "l'entropologie", une économie de la pensée. 

Ce faisant, je te signale que nous avons déjà retrouvé un scénario assez élémentaire pour comprendre  le principe d'incertitude, et le lien qu'Emmy Noether fait entre invariant / symétrie et incertitude. Quant à la relativité, le concept se décante progressivement de notre démarche elle-même. Je dirais que c'est ce autour de quoi je tourne depuis quelque temps, en commentant la différence logique / géométrie.

- Mais toujours pas de géométrie, ni de topologie. Au contraire, tu reviens sur la physique en nous parlant du principe d'inertie, ou même de l'incertitude. Qu'est-ce que cela vient faire dans une approche de la géométrie ?

- C'est précisément la géométrie qui m'y ramène ! 

- Explique-nous ça.

- Je pense que derrière la différence des domaines physique / mathématique, et bien que l'une soit le langage de l'autre, la façon qu'elles ont chacune de se déployer en son champ propre, offre une forme commune. Et cette forme, si j'ai raison, c'est précisément celle de notre Imaginaire que je m'emploie laborieusement à explorer.

Je vais être très ambitieux : l'image que j'en ai est celle d'un "pont" entre les deux domaines (au sens où Olivia Caramello parle de "pont" à propos des topos). Il est parfois plus facile de traverser ce "pont" des mathématiques vers la physique, et parfois, c'est l'inverse. De même qu'en mathématiques, la géométrie analytique permet de passer le l'algèbre à la géométrie ou inversement, depuis que Descartes a fait le lien en proposant de représenter un point sur une surface par ses coordonnées.

Cette possibilité de "pont" se justifie aisément si l'on considère le développement de l'Imaginaire, comme résultant de la genèse du cerveau qui l'exprime. Notre appréhension du monde se fait progressivement, marquée par des "étapes" repérables. Par exemple la compréhension du concept "d'objet", ou le stade du miroir, ou encore comprendre l'invariance du volume d'un liquide lorsqu'on le transvase d'un verre dans une tasse etc... C'est cette acquisition par paliers qui structure à mon sens notre Imaginaire par "couches".

L'image que j'en ai est celle des tous premiers stades de la genèse de l'embryon. Au début, tu as une sorte de bout de ruban, qui, par croissance des tissus, se ride sur les bords et se roule sur lui-même, comme un élastique que tu tires au-delà sa déformation plastique avant de le relâcher. Et bien, ces "rides" vont donner naissance aux côtes et leur enroulement progressif referme notre cage thoracique. L'idée, c'est que les tous premiers "paliers synchroniques" de notre Imaginaire se stabilisent progressivement, comme nos côtes.

- Qu'entends-tu par "tous premiers paliers" ?

- Ceux qui se rattachent au développement inconscient de notre personnalité, avant la prise de recul effectuée au stade du miroir, c'est-à-dire avant de pouvoir nous représenter comme objet au regard de l'Autre. Au-delà, nous en avons parlé dans les "limites d'une approche?"

- Soit, mais concrètement, qu'est-ce que le principe d'inertie de Galilée vient faire en mathématiques ?

- Mais il est essentiel ! Je te renvoie à l'insertion du niveau IR, au-dessus de I01, dont nous avons discuté dans le billet sur "la mécanique de l'Imaginaire": le schéma que nous avons repéré est le suivant :

  • La répétition des sauts entre I1 et I01 amène le concept de "successeur" en I01;
  • Le saut, de I01 à IR avec l'hypothèsee du continu ET le le principe d'inertie (la première symétrie) en IR, permet de passer de la succession à la durée.

Principe d'inertie en physique et symétrie en géométrie sont les deux faces d'une même pièce, il est la le "pont" dont nous parlons : un concept de niveau Ik+2, réifie un concept diachronique entre Ik et Ik+1. En l'occurence, une vitesse constante (en IR) permet de mesurer le temps (concept diachronique entre I1 et I01).

- Bon, d'accord pour la liaison temps / espace / vitesse, mais est-ce que tu ne fais pas un peu abusivement une généralité d'un cas particulier ?

- Ah ! ça, c'est une bonne question ! Malheureusement, à partir de IR, les choses se compliquent singulièrement, comme nous venons de le voir dans le billet précédent "les limites d'une approche ?".

- Je pensais au contraire que tu étais retombé sur tes pattes, en voyant émerger la nécessité de rapporter tout exposé d'un Sujet à l'image de lui-même en Im, qui induit un principe très général de relativité, que tu avais postulé au départ ?

- Il y a cependant un embarras qui subsiste concernant le parallèle que j'avance entre maths et physique, et qui se révèle explicitement à partir de IR : quelque soit la description mathématique que je puisse avancer d'une loi physique, à partir de IR, c'est à dire en postulant la continuité de la droite et le principe de dualité en géométrie, il faut malgré tout que le physicien puisse en tirer une procédure pour observer le Réel.

Autrement dit, la façon de relier physique ou géométrie au "pont" dont je parlais tantôt, n'est pas symétrique.

- Peux-tu être un peu concret de temps en temps ?

- Prends le principe de Fermat, concernant le chemin lumineux, avec par exemple un miroir plan, une source à droite et l'oeil à gauche.

Tout ce que l'on sait, c'est que le rayon part de la source, se "réfléchit" sur le miroir et atteint l'oeil. Bien, géométriquement, il y a une infinité potentielle de tels rayons, et là nous sommes à tracer des figures géométriques avec une simple règle et un crayon. Maintenant le physicien prends un certain "recul" par rapport à toutes ces potentialité, et nous dit : le chemin actuel suivi par le rayon lumineux est minimal (extrémal pour les matheux).

Le mathématicien comme le physicien utilisent les mêmes outils pour décrire l'expérience, mais le physicien, grâce au recul qu'il prend par rapport au discours mathématique, actualise, en physique, ce qui n'est encore que potentiel en maths. Bien entendu, le résultat de ce choix peut lui-même s'exprimer sous forme mathématique, mais à un niveau supérieur du langage, avec en l'occurence la mesure de la longueur d'un tracé: on passe de la droite (de l'ordre de R)  à une mesure de distance, qui s'exprime de façon générale sous forme de carré en R2 (approche primitive, certes, mais suffisante pour l'instant).

En quelque sorte, le physicien "tire" le mathématicien, en lui demandant d'expliciter les principes qu'il énonce. C'est à dire, pour être précis : le principe d'inertie, le principe de moindre action, l'entropie décroissante des systèmes isolés, les notions de symétrie etc.

C'est ce que nous venons de voir avec temps / R / vitesse.

- Tu te limites au déplacement sur la droite ?

- Eh oui, précisément, et c'est là tout le noeud du problème : le principe d'inertie de Galilée ne concerne que le mouvement rectiligne uniforme. Maintenant, quel est le pas suivant, ou plutôt quel est le plus fructueux des pas suivants possibles ?

- Tu vas me dire que ça dépend de ton point de vue ?

- Tout juste. Pour le coup, je vais me faire physicien, et me demander ce qui vient après le concept de vitesse ?

- Celui d'accélération, sans doute, mais là tu retombes dans des considérations que tu as déjà exprimées dans ton billet "La gravité, une question de poids!" écrit il y a quatre ans. Si c'est pour en revenir à ce point, ce n'était pas la peine de faire tout ce détour !

- Tu as raison, d'autant plus qu'il s'agit de dépasser cette représentation un peu élémentaire de la gravité, pour la considérer, maintenant, comme une caractéristique "géométrique"... On en revient à cette idée de "pont" !

- D'accord et comment t'y prendras-tu ?

- En revenant à Newton lui-même, qui suit naturellement Galilée. C'est une idée qui me travaille déjà depuis longtemps, cf. ce billet " De Descartes à Leibniz et Newton...", écrit il y a deux ans, tu vois, on se rapproche...

Du point de vue que j'essaie de dégager ici :

  • la "force" exercée sur un corps s'exprime par une relation en 1/D2, D étant une distance, une notion géométrique,
  • tandis que nous voyons expérimentalement une accélération, c'est à dire comment un objet est perturbé dans son mouvement. 

On peut s'étonner de ce carré: pourquoi D2? Grossièrement parlant, nous n'en sommes plus au simple saut de I01 à IR, et je dois définir le saut suivant, que j'ai présenté ici, pour le remettre en question, et finalement me laisser libre de mon choix.

Et bien, je vais en revenir à la démonstration que Newton donne de la seconde lois des aires de Kepler dans "Philosophiae naturalis principia mathematica" en 1687 (voir la présentation très claire et illustrée de Serge Bertorello ici). La démonstration tient au fait que la surface d'un triangle est égale au produit de sa base par sa hauteur.

Autrement dit, la "montée diachronique" ne tient pas ici simplement au fait que je passe de l'idée d'une droite à celle d'une figure tracée en 2 dimensions, mais au concept d'une mesure qui transcende radicalement l'idée de "figure géométrique".

- Précise un peu, je ne te suis plus.

- La nouveauté ne tient pas au passage de la droite, figure en 1D à une nouvelle figure en 2D, mais à quelque chose de radicalement différent, qui me permet de dire que deux objets, de forme complètement "différentes", présentent une parenté liée à la mesure de leur surface. Nous en revenons à Lebesgue, qui alimente ma réflexion depuis 15 jours.

Autrement dit, et dans cette perspective de physicien, ce qui m'intéresse, après IR, c'est non pas de passer d'une figure en 1D (la droite), à une figure en 2D, de ce point de vue, je reste dans la répétition du semblable, mais à quelque chose qui émerge à partir de IR, et aurait un rapport, en mathématique avec la mesure d'une aire, et en physique avec l'accélération.

Le "pont", c'est-à-dire le lien Imaginaire entre surface et accélération; je n'en vois qu'un de possible, à savoir les formes simplectiques, dont la plus simple est la mesure de l'aire d'un losange délimité par deux vecteurs (a, b) et (a', b') : S = ab' - ba'.

Et je sais qu'à partir de là, je peut dérouler toute la mécanique en revenant à Lagrange (voir "sur la simplectisation de la physique").

- C'est donc autour de ça que tu nous balade depuis un mois ?

- Oui, mais il me fallait avant cela balayer un peu mon approche.

- C'est-à-dire ?

- Que je dois pouvoir consolider ce nouveau niveau, après l'avoir baptisé (je propose I#, le "#" rappelant un carré) en recherchant de quelle façon il respecte toutes les notions que nous avons déjà acquises, lors des phases précédentes, et en particulier, comment s'y articulent les concepts de symétrie / invariant / incertitude. Je veux y retrouver Noether, avant même que ce soit explicite, de façon "naturelle", en germe.

La première chose qui me frappe, c'est que l'invariant à ce niveau (la surface), qui se conserve selon certaines lois de symétries, s'exprime par une combinaison dissymétrique des objets du niveau inférieur.

- Tu joues sur les mots !

- Non, pas du tout ! Regarde un peu l'analogie avec le pas précédent:

  1. Entre I1 et I01, le temps est une succession de sauts, il file dans un sens,
  2. En IR, le temps est vu comme une distance, et le mouvement devient "symétrique" dans les équations de la mécanique. L'invariant c'est la vitesse.

Maintenant :

  1. Entre I01 et IR, un premier saut donne la droite, le second le plan, un troisième l'espace,
  2. En I#, le second saut permet de donner un sens à (ab' - a'b). L'invariant c'est la surface.

Dans les deux cas, tu vois bien qu'une régression de 2/ à 1/ conduit à une dissymétrie dans l'expression. Autrement dit, l'invariant au niveau Ik+1, c'est ce qui est dissymétrique au niveau Ik; c'est la "clocherie de la chose", comme dirait Lacan. c'est ce que l'on peut voir comme une "décohérence" (j'en parlais dans "émergence et décohérence").

Quant aux symétries, c'est précisément ce qui garde le concept invariant. Dans le premier cas, il s'agit du principe d'inertie, dans le second, c'est la conservation de la mesure.

- Soit, mais où se situe ton incertitude ?

- Dans l'impossibilité d'exprimer parfaitement une surface à l'aide d'une mesure de longueur, ou de déterminer √2 comme nombre pair ou impair, question concernant le saut I01 => IR, porté en I#.

- Et qu'en est-il de l'accélération ?

- Eh bien, c'est précisément l'observable de l'expérience, que l'on souhaite éviter dans la description du phénomène. Autrement dit le "niveau I#" serait commun à la géométrie simplectique et au concept physique d'accélération : ce serait notre "pont".

- Et la suite ?

- Je pense qu'il faudra parler des symétries. C'est d'ailleurs là l'essentiel en géométrie comme en mécanique.

Mais ceci est une autre histoire.

Bonne rumination.

Hari.

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