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Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...

L'Homme quantique

Métaphysique

Je tourne en rond depuis quelque temps, au sens propre dans ma vie, comme dans mes idées. Non seulement je ne sais pas où je vais, mais en plus, je n'ai ni guide ni personne avec qui échanger. Cette solitude intellectuelle me pèse autant que ma retraite actuelle, loin de ceux qui comptent pour moi.

J'aimerais tout envoyer balader, sans doute un réflexe tardif de soixante-huitard. Mais quand je vois ce qu'ils sont devenus, je me dis que la meilleure façon de le faire n'est pas l'insurrection, mais la dissolution.

- Je te sens bien morose aujourd'hui. Qu'est-ce que tu entends par "dissolution" ?

- Sais-tu comment les biologistes font pour éclater une cellule afin d'accéder à son ADN ?

- Non, dis-moi.

- Eh bien, ils la mettent dans une eau pure. Comme la cellule baigne dans du sérum physiologique, c'est-à-dire de l'eau salée, le sel migre vers l'extérieur de la cellule, en fonction du gradient de salinité, et la membrane explose sous la pression qui en résulte.

- Et ?

- Eh bien je me dis que pour exploser une société, en particulier cette culture de bobos qui nous lobotomise le cerveau, il faudrait épurer une pensée au point qu'elle dissolve toutes les conneries dont on nous abreuve.

- Une sorte d'immolation par le vide ?

- Oui, la philosophie vue comme une arme, ce qui nous ramène à Sun Tzu : "il faut s'attaquer aux plans de l'ennemi" (si tu t'en souviens, j'avais commencé ce blog par lui: "De Sun Tzu à Asimov").  Et donc, pour réformer profondément une culture, c'est par la philo qu'il faut combattre.

- Mais pourquoi ce ton guerrier?

- Parce qu'il s'agit d'une guerre. Dans mon dernier billet, j'ai indiqué un lien vers une vidéo d'Olivia Caramello dans laquelle elle montre combien Grothendieck a du se battre parce que ses idées simples gênaient ceux qui assoient leur autorité morale sur la complexité de leur domaine d'expertise. Olivia elle-même témoigne de l'ostracisme qui la frappe pour la même raison. Et elle n'est pas la seule dans son domaine ! Ce fut une constante durant tout le dernier séminaire sur les lectures Grothendickiennes à l'ENS!

Et c'est un phénomène général : ce qui paie dans la recherche actuelle, c'est la spécialisation à outrance, la segmentation. Chacun délimite un petit pré carré où il règne en maître, Malheur à celui qui vient pisser sur sa palissade ! Or donc, avec ses topos, Grothendieck cherche ce qui est simple derrière la diversité et le complexe, et ce que l'on ne lui pardonne pas, c'est de trouver, car c'est d'une géniale simplicité ! Un tâcheron qui a passé 15 ans de sa vie à ingurgiter une bibliothèque pour produire un malheureux théorème exotique et vivre son quart d'heure de célébrité le temps d'une présentation, qu'il renouvelle de congrès en séminaire, n'est certes pas prêt à reprendre toute sa pensée pour avancer. Ce n'est pas son but. Son but, c'est d'accéder au buffet en fin de conférence et de dispenser son savoir à quelques jeunots avides de se trouver un directeur de thèse en passant les petits fours. Je le sais: je l'ai vu, j'y étais !

- Je te sens bien amer, que t'importe ?

- Cela vient de mon impuissance à établir un dialogue.

- Mais ça, tu le sais depuis longtemps, et puis tu as choisi une autre voie: tu n'es pas universitaire.  

- Je sais, je sais, désolé, mais de temps en temps cette situation m'attriste. Ne t'inquiète pas: ça va passer. Tout ça pour te dire que la seule voie qui s'impose est d'aller au plus simple, de décanter encore et encore sa propre pensée, déjà par hygiène personnelle. Quant à la possibilité d'un partage, j'en doute, ou alors par une sorte d'effet tunnel qui échapperait à toute rationalité, une connivence d'ordre esthétique peut-être ?

- Laissons cela. Mais pourquoi ce titre "métaphysique" ?

- Pour faire suite au précédent billet "Au coeur de la physique". Et notre discussion sur la simplicité, conduit précisément à rechercher au-delà de la physique, cette forme élémentaire de l'Imaginaire, qui serait comme un "topos classifiant" servant en quelque sorte d'archétype anthropomorphe, forcément anthropomorphe, à toute représentation de notre expérience du Réel.

- Bigre, je te sens bien pompeux, tout d'un coup, et je parie que ça nous prépare à l'accouchement d'une souris !

- C'est exactement ça : un principe très général ne peut évidemment qu'être une lapalissade. C'est ce que Grothendieck pointait déjà dans "Récolte et semailles" (voir dans la vidéo à 34'):

" ... "Oh ce n'est que ça", d'un ton mi-déçu mi-envieux; avec en plus peut-être, ce sous-entendu du "farfelu", du "pas sérieux" qu'on réserve souvent à tout ce qui déroute par un excès de simplicité imprévue."

- Autrement dit, ta colère était une réaction anticipée au "tout ça pour ça ?" que vont pousser les 3 lecteurs qui iront jusqu'ici ?

- J'en ai peur ! Mais bon voici le bébé : quelle est l'essence des théorèmes de Noether ?

- De lier les concepts symétrie / invariant / incertitude.

- Tout à fait, et nous sommes parvenus à cette idée qu'un invariant de notre Imaginaire, se rapporte à quelque chose d'asymétrique en Ik que l'on ramène à un fond symétrique en Ik+1. L'exemple canonique étant le suivant :

  • L'automatisme de répétition des sauts entre I1 et I01 conduit à la notion de succession en I01;
  • Le passage de I01 à IR permet l'expression d'une vitesse en IR et le principe d'inertie permet de passer de la succession à la mesure des durées.

Autrement dit, le temps, asymétrique dès l'origine, devient dans cette montée un objet symétrique. Il faudra monter encore dans la représentation, pour introduire l'entropie et interpréter l'impossibilité de remonter le temps comme une conséquence des lois de la thermodynamique. Mais, dans cette toute première élaboration du concept de "temps", celui-ci se détache comme un "objet" en I01 se rapportant à un référentiel en IR.

=> Ce que l'on repère, c'est son irréversibilité par rapport à un référentiel qui permettrait de représenter des états opposés : un temps s'écoulant vers le futur ou vers le passé.

Comprends-tu que nous avons ici un "invariant", en l'occurrence le concept même de "temps", qui s'impose à nous parce qu'il se détache comme tel, d'être l'actualisation, en Ik, d'une potentialité repérée en Ik+1 ?

Dit autrement : la perception du concept "temps" vient d'une rupture de symétrie lorsque l'on passe de Ik+1 à Ik, de même que l'on repère une bille roulant sur un plan parce qu'elle "s'en détache".

Tu vois maintenant, sur cet exemple réellement fondamental, comment sont liés :

  • Un invariant, en Ik ;
  • Une symétrie, en Ik+1 ;
  • Une incertitude dans le passage Ik/ Ik+1, (je n'y reviens pas: c'est expliqué ici).

Lorsque l'on ne possède pas le concept en Ik+1 permettant de repérer l'objet en Ik, nous sommes alors, nous en Im, dans cette situation ex ante : Ik < Im < Ik+1, et devons "créer" le concept en attente, pour réellement "comprendre" ce que nous voyons: c'est la forme canonique de Lévi-Strauss, ou la déconstruction de Derrida. 

Mais pour en rester à la situation rationnelle Ik < Ik+1 < Im, nous sommes revenus à notre point de départ : les théorèmes de Noether ne sont que l'expression physique et mathématique de notre façon de représenter notre circulation "rationnelle" dans l'Imaginaire.

- Bref, tu es content de toi, comme un chien courant après sa queue.

- Oui et non. Tout ceci convient bien aux premières phases de notre structuration Imaginaire, qui nous mène grosso modo jusqu'au stade du miroir. De parcellaire, notre appréhension de notre environnement s'agrège petit à petit, jusqu'à ce que nous nous posions la question de notre rôle dans la pièce. Il me semble qu'il y a là un passage de témoin : au-delà de IR, la grande question, c'est la relativité de nos représentations.

Ce palier-charnière, me semble se retrouver dans à peu près tous nos champs de représentation.

  • Pour le neurologue, il y a cette articulation entre percept et concept (voir J.-P. Changeux par exemple) ;
  • Pur le physicien c'est la difficulté à passer du monde quantique au monde relativiste ;
  • Pour le mathématicien ; ce serait le passage de la logique à la topologie.

Or, ce que nous venons de repérer, c'est tout simplement le concept de "classificateur de sous-objets" que l'on retrouve dans la théorie des catégories : lorsque je dis, de façon très générale, que je repère un objet en Ik; par rapport à un fond en Ik+1, le modèle le plus élémentaire, dans la catégorie des Ensembles (Ens ou Set) c'est :

  • Le singleton ou objet terminal, soit 1, en I1;
  • Le classificateur, qui est l'ensemble des parties de 1, soit (1; 0) en I01.

L'incertitude, c'est mon propre choix à moi en Im, de rapporter 1 => 1 (vrai) ou 1 => 0 (faux). Comme disait Lacan, parler c'est la possibilité de mentir.

Tu vois donc que même à ce niveau très élémentaire, les maths n'échappent pas à Noether : car c'est une trace anthropomorphe, inhérente à notre façon de penser, qui se retrouve bien plus tard dans la construction mathématique, mais elle est déjà là, dès le début; comme le principe d'Heisenberg est déjà là, dès qu'un photon tape sur notre rétine, bien avant toute pensée consciente d'avoir vu quelque chose, dans la construction du percept.

Tout ceci nous mène (il faudra le consolider) au concept de "topos élémentaire" de Lawvere, un logicien, comme il se doit.

Mais c'est le reste qui m'intéresse, pour compléter le tableau entre IR et I0.

Et là, je crois qu'il faut se laisser porter par Grothendieck, et son topos à lui. Il y a toute une mécanique, à l'aide de faisceaux, pour retomber sur la catégorie des Ensembles, et donc assurer la descente jusqu'au Réel, jusqu'à l'expérience, mais laissons cela pour en arriver à l'essence même du topos de Grothendieck. Pour lui, un objet, c'est ce qui passe à travers une série de cribles. 

Or c'est très précisément le complément d'une approche logicienne.

  • Le logicien agite l'objet devant le fond, son classifiant. Le référé ultime, c'est le singleton, ou l'objet final, et c'est une approche globale, le classifiant du logicien étant comme l'éther pour Newton ;
  • Le topologue crible l'objet, qui toujours échappe à sa vue, comme l'objet initial (en I0), qui mène à tout mais reste inaccessible; avec à partir de IR, la possibilité de concevoir des "ouverts" autour de l'objet. L'approche est locale, consistant à cerner l'objet qui se dérobe, la lettre cachée !

Ce qui est perturbant, finalement, c'est qu'une approche "locale", questionne directement la place de Im dans la représentation, et brouille ma façon de hiérarchiser les couches Imaginaires. J'en ai déjà parlé (cf. "relativité et dualité local/ global"), mais aujourd'hui je souhaitais remettre tout ceci en perspective.

Le plus sage est donc, à partir de IR, de lâcher prise et de filer le train à Grothendieck, autant que faire ce peu, bien entendu ! Je n'ai aucunement l'intention de lire le SG4, j'en suis strictement incapable. Non, mon espoir est d'en comprendre assez pour arriver à quelqu'évidence, comme celles concernant Noether ou Heisenberg, et de surmonter certaines frustrations d'adolescent, certaines incompréhension qui m'ont bloqué jusqu'à maintenant.

Quoiqu'il en soit, il subsiste à ce niveau la notion de "topos classifiant", et donc la même nécessité de porter notre attention sur deux niveaux Imaginaires, avec au final Ik < Ik+1 < Im. Ce qui est créé à un niveau n'est pas détruit au suivant, mais complété et enrichi.

Y a plus qu'à...

Hari.

Nota du 08 /09 /2018

Je reviens à cette idée que l'on prend conscience des choses lorsqu'en régressant dans notre imaginaire, ce qui était potentiel (un choix entre deux termes opposés) se réduit à actualiser une seule des possibilités.

On pourrait y voir tout simplement le principe de réalité de Freud: en nous rapprochant du Réel, notre champ d'action "rêvé" se rétrécit ! Et à la limite, lorsque l'on ne s'adapte pas au Réel, celui-ci se rappelle à nous sous forme de trauma : nous en revenons à Lacan, pour qui le Réel, c'est ce qui nous réveille, ce qui contrarie notre Imaginaire....

À l'inverse, une montée Imaginaire permet de simplifier nos perceptions en les inscrivant dans des champs de plus en plus vastes, et unifiants, jusqu'à I0, d'où tout peut découler. Par exemple : une fonction rationnelle peut ou non avoir des racines, mais en passant aux nombres complexes, toute fonction a des racines... En passant de R à C, le champ couvert s'élargit.

Au tout dernier niveau Imaginaire, à la fracture Réelle, subsiste encore :

  • Le Réel qui existe hors de notre Imaginaire (c'est l'invariant terminal)
  • L'Imaginaire qui se construit pour décrire nos expériences par des concepts duaux (c'était notre axiome de départ, la dichotomie des concepts, tiré de Lévi-Strauss, et cette construction suit sa forme canonique), c'est la symétrie;
  • Le trauma Réel / Imaginaire, c'est notre incertitude fondamentale face au Réel.

La rupture absolument radicale Réel / Imaginaire serait donc "médiatisée" par un processus Imaginaire de stratification progressive, qui dès l'origine, conjoindrait invariant / symétrie / incertitude.

Je pense que l'on ne peut pas enraciner les théorèmes de Noether plus profondément dans notre Imaginaire !

Nota du 11 /09 /2018

J'écoute avec plaisir l'émission "Les chemins de la philosophie" sur France Culture, dont le sujet est l'Iliade.

Je ne savais pas trop en quoi je discute ici de métaphysique... La réponse est évidente, à qui écoutera et entendra cette émission !

S'il en est un qui aille jusqu'à lire cette note et écoute cette émission, qu'il me fasse un signe, se fasse connaître, ça me ferait plaisir...

Nota du 15/08/2019

En relisant cet article qui, semble-t-il, a été vu par quelques-uns ces derniers temps, j'y retrouve l'ébauche de ce que j'ai développé très récemment à la lecture de Lagrange et Hamilton; à savoir la différence entre un temps "explicite" et un temps "implicite". Voir:

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