Sur les traces de Lévi-Strauss, Lacan et Foucault, filant comme le sable au vent marin...
6 Mai 2018
Ouf, j'ai enfin pu faire ma présentation mercredi dernier dans le groupe de travail en logique catégorique d'Anatole Khelif à Paris Diderot.
Il ne faut pas me le cacher : je suis un piètre orateur. J’en ai pris conscience, non pas en me réécoutant (je supporte difficilement le son de ma voix), mais juste en regardant la bande-son : je ne parle pas, j’expulse des mots ou de très courtes phrases. Ce n’est pas un discours mais une suite d’îlots isolés en forme d’obus (le son allant decrescendo) de quelques secondes entrecoupés du tac - tac des coups de craie sur le tableau. Mon écriture même est faite de pattes de mouches. Par contraste, je me suis rendu compte de l’intelligence, du sens pédagogique et de la bienveillance d’Anatole, qui arrivait à reformuler ce hachis d’exposé pour l’auditoire.
Ma première décision, en sortant de cet exercice, fut donc de tout reprendre et d’en faire des tutos sur Youtube, pour m’exercer à parler correctement.
Ensuite, je me suis senti rassuré d’avoir pu, malgré ce handicap, exposer ma démarche et surtout, certaines réflexions d’Anatole m’ont convaincu de n’être pas totalement dans l’errance, puisque ses propres développements recoupent par endroits ce que j’avançais. J’espère avoir l’occasion d’approfondir la chose à Côme cet été.
L’une de mes difficultés tenait sans doute à ce que, lors de ma préparation, je n’avais pas réussi à faire le lien entre topos de Grothendieck et topos élémentaire de Lawvere comme je me le proposais. Mon exposé s’étant plus attardé sur la présentation de mon "entropologie" que sur son application à la théorie des catégories, cela n’avait pas d’importance immédiate, sauf que cette arrière-pensée me forçait à revivre, à tester la démarche en l’exposant, pour en détecter les faiblesses, et ce n’est pas la meilleure attitude pour convaincre ! Fort heureusement, nous étions dans un "groupe de travail", un lieu d’échanges !
La grosse faiblesse de mon approche tient à la définition de "l’objet" de la théorie des catégories. Faute de prof avec qui en discuter, j’ai suivi pas à pas l’exposé de Lawvere dans "Conceptuel mathematics", qui commence par la catégorie des Ensembles (Ens). Et c’est tout le problème : l’objet final de cette catégorie, c’est un simple point {*}. Ensuite, de là j’ai fait tout un développement pour en arriver à l’objet initial, le vide { }, en utilisant la forme canonique. J’avais commencé à y penser dans ce billet "#7 - causa sui", puis j’y suis revenu dans l’écriture du chapitre 4, sans en faire un billet spécifique, ici sur ce blog. Voici l’extrait en question :
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- Tu veux dire que le concept de vide { } est la réponse à un questionnement d’ordre mythique ?
- Oui bien sûr, car l’acte par lequel je pourrais le « tirer » directement du Symbolique " ∃ { }", est un non-sens absolu, Comment penser l’existence d’une absence ?
La création du concept de vide ne peut s’imaginer qu’à partir d’un objet déjà là : l’objet 1 = {*} auquel je l’oppose. Tentons de proposer un mythe autour de cette question en prenant modèle sur notre mythe référant de la Potière Jalouse :
Si je peux choisir ou non l’objet 1 pour qu’il advienne dans mon discours ;
Si, par ailleurs, je peux concevoir de ne rien pouvoir dire de ce que je ne choisis pas, comme le concept { } (toujours Wittgenstein) ;
Comment pourrais-je "choisir { }" ?
Ce qui, avec la forme canonique de Lévi-Strauss nous donnerait quelque chose de ce genre :
Fnon choix ({ }) : Fchoix (1) : : Fnon choix (1) : F{ }-1 (choix)
L’inversion du concept vide génère (première inversion) l’objet 1 : { }-1 = {*}
Le concept d’unité est ce qui fonde (seconde inversion : synchronique = > diachronique) la possibilité de repérer un choix…
Tu remarqueras que ce qui est recherché (ici { }) devient rétrospectivement le fondement du concept complémentaire (ici 1) d’où nous sommes partis.
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Bien, mais si tout ceci est cohérent, nous tournons toujours autour de cet objet final, vu comme un point, d’ailleurs la catégorie Ens elle-même peut être générée à partir de cet unique point, avec l’ensemble des morphismes qui en partent et y reconduisent.
La théorie des catégories veut s’émanciper de cette approche strictement "objective" issue de la théorie des ensembles, en généralisant la notion d’objet.
C’est là le pas décisif, que je n’avais pas pleinement appréhendé. Et c’est d’autant plus idiot que ma propre approche aurait dû me guider, mais comme toujours je n’avais pas osé aller au bout de l’idée qui s’offrait d’elle-même.
Dans la représentation de l’Imaginaire comme un ensemble de "niveaux synchroniques" empilés selon un "axe diachronique", ce qui caractérise ma conscience d’un "objet" c’est, nous l’avons vu en discutant de l’émergence du Moi, dans "les métaphores mathématiques du sujet", la convergence d’un processus ascendant (la perception elle-même) et d’un concept (qui lui, descend de l’inconscient) à un niveau synchronique donné. Je peux donc échapper à la régression infinie de l’objet défini comme "ensemble d’objets" de la théorie des Ensembles, en m’arrêtant à cette pure définition linguistique de la théorie des Catégories : l’objet est soit domaine, soit codomaine d’un morphisme.
À première vue, c’est idiot : toute cette discussion pour en revenir à la définition même du morphisme !
Sans doute, mais dans mon billet sur les métamorphoses mathématiques du Sujet, j’ai fait une erreur, sur laquelle il est nécessaire de revenir : j’ai pris le théorème du point fixe de Brouwer comme métaphore pour expliquer cette convergence d’un mouvement ascendant et d’un mouvement descendant vers un point fixe où je voyais la prise de conscience, de moi-même, ou de l’objet. Implicitement ceci revient à dire qu’un mouvement ascendant est "comme" un mouvement descendant, or ces deux mouvements ne sont pas symétriques.
Je m’explique :
Soit mon Imaginaire, bordé par le Réel et le Symbolique, avec ma pulsion portant de l’un à l’autre en traversant tout mon Imaginaire, comme cette flèche ascendante que j’appelle axe diachronique ;
Nous avons trouvé une métaphore générale de ce système en langage catégorique : l’objet final {*} est "au contact" du Réel, l’objet initial { } est le maximum que je puisse imaginer, avant d’être en position ex ante par rapport au Symbolique.
Autrement dit R < I{*} <… < I{ } < Im < S
Dans ce schéma, il est bien évident que, dans la montée de R vers S, {*} est en position de domaine, tandis que dans la descente depuis S vers R, {*} est en position de codomaine.
Si je prends un recul (diachronique) par rapport à ce niveau de langage, je peux définir les parties de {*} comme étant le couple ({*}; { }) à un certain niveau I01 de mon Imaginaire. La question qui m’intéresse alors, c’est de positionner un tel niveau dans mon schéma d’ensemble précédent.
C’est là que j’en étais, et c’est ce qui bloquait mon discours dans ma présentation : je ne peux pas "logiquement" le situer !
En effet, puisque l’idée d’un couple ({*} ; { }) nécessite l’appréhension conjointe de chacun des deux termes, en toute logique, je devrais pouvoir écrire R < I{*} <… < I{ } < I01 < Im < S
Mais nous venons de voir que je ne peux rien concevoir de supérieur à { }, sans me retrouver en position ex ante (irrationnelle) par rapport à S. J’ai donc, par nécessité : R < I{*} <… < I01 <… < I{ } < Im < S
Or, si tout le domaine entre I{*} <… < I01 peut être défini sans difficulté comme celui de la pure logique, avec en particulier la notion de classifiant de sous-objets, et conduit directement à la notion de topos élémentaire, selon la définition qu’en donne Lawvere, il nous reste un pan de l’Imaginaire, qui, tout en étant du domaine du "rationnel" (i.e. : Im en position ex post), n’est pas réductible à la logique puisque extérieur au domaine Imaginaire I{*} <… < I01 où elle s’exprime !
Et c’est là qu’il faut passer à la topologie de Grothendieck, dans laquelle l’objet n’est plus défini par ses "parties" comme dans la logique, mais par son "environnement".
C’est en ce sens que je dois approfondir ma réflexion, mais vous voyez déjà de quelle façon notre regard sur l’objet évolue en passant de la logique à la topologie :
En logique, c’est l’élément (*) qui défini le tout : l’objet est d’abord vu en position de "domaine";
En topologie, l’objet est ce qui reste quand on l’a "tamisé" : c’est le codomaine commun à des séries de cribles (l'objet est situé au-delà de tout langage, le référé ultime du langage).
Pour dire que notre objet est le point de convergence entre ces deux approches il faut pouvoir rapporter son aspect topologique (codomaine) à la catégorie des Ens où il sera observable (en position de domaine).
Vous voyez comme moi, je l’espère, que ce niveau Imaginaire I01, où convergent les deux approches est également celui où les considérations de temps et de successeur (avec la logique) cèdent le pas à des considérations d’espace. Ce qui recoupe l’idée de J-P Changeux selon laquelle la prise de conscience de l’objet est la rencontre entre un percept et un concept.
Je crois que la brume commence à se lever…
Hari.